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23/05/2011

Le pari de Saint-John [par Arsène Hasar]




I

Quand Jimmy Brocken Becker téléphona à Saint-John d’Orange pour lui proposer de venir lui rendre visite dans son studio de photographie, ce dernier refusa sans hésiter. Il dit à Jimmy :
-Une autre fois, Jimmy. Je n’ai toujours pas résolu le problème de l’autre en tant que paradis perdu et territoire à reconquérir.
-Pas de problème mon pote, faisons ça la semaine prochaine, répondit Jimmy, qui ne comprenait pas pourquoi son ami l’abandonnait une fois encore.
Il eût bien envie de lui dire : allez, viens, moi aussi je suis un territoire à reconquérir. Mais il n’en fit rien.

Et Saint-John d’Orange resta cloîtré chez lui, dans la verrière depuis laquelle la ville était une miniature, les hommes des insectes et le temps une simple fantaisie.

II

Le jour où Mahmoud Shalimar envoya un télégramme à Saint-John d’Orange pour lui proposer de venir jouer de la harpe avec sa  sœur Leila, qui était la plus belle femme de la ville, du pays et du Monde, Saint-John déclina sèchement :
-Pas aujourd’hui, Mahmoud. Il faut que je me penche sur le problème du passé qu’on aimerait enterrer mais qui renaît de ses cendres pour venir chaque jour nous tourmenter.
-Ce n’est pas grave, vieux frère, tu peux venir le mois prochain, répondit Mahmoud, qui ne comprenait pas comment Saint-John pouvait renoncer à une si belle femme.
Il pensa même à lui dire : allez, viens,c'est dans les bras de ma sœur que tu oublieras le passé. Mais il n’osa pas.

Et Saint-John resta cloîtré chez lui, sur la colline depuis laquelle la ville semblait être une forêt, les hommes des termites et la Mort une compagnie de chaque instant.


III

Le soir où Romeo di Marella vint frapper à la porte de Saint-John pour lui proposer de venir voir un chef d’œuvre au cinéma, Saint-John lui expliqua immédiatement qu’il ne l’accompagnerait pas :
-C’est impossible, Romeo. Je viens de comprendre que nous sommes des points de vue sans portes ni fenêtres, incapables d’entrer en contact avec les choses sans passer par le filtre déformant de nos perceptions individuelles.
-Tant pis, mon ami, je reviendrai te voir Lundi vers 16h, répondit Romeo, qui s’étonnait beaucoup de la réaction de Saint-John.
Pendant un court instant, il envisagea d’ailleurs de lui dire : allez, viens, au cinéma nous partagerons tous le point de vue de celui par qui le film est arrivé. Il nous prêtera ses yeux et ton problème sera résolu.

Mais il était trop pressé.

Et saint-John resta cloîtré chez lui, dans sa villa sur la colline depuis laquelle la ville semblait être un feu immobile, les hommes des enfers et le Temps l’actionnaire majoritaire de la Mort.

Jimmy ne téléphona plus à Saint-John. Mahmoud arrêta d’envoyer des télégrammes, et Romeo ne vint jamais plus frapper à sa porte.
Et Saint-John crachait du haut de sa tour d’ivoire, les détestant tous. Il n’avait encore résolu aucun de ses problèmes.

Ainsi Saint-John d’Orange devint John d’Orange.



Hollywood,le 23 mai 1995

A r s è n e  H a s a r

"Les oiseaux chantent de plus en plus faux"





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