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06/06/2011

Henry Geache - La page blanche [Ep.9] / Targa Kolikov


Les maladies ce sont les choses que l’on montre à l’extérieur.

Rassurez-vous Henry n’est pas malade, son médecin a récemment tablé sur une espérance de vie proche de 117 ans, comme si la précision scientifique déjouait les fausses marques du temps. Il lui  prédit également une troisième femme pour bientôt, la disparition de son fils venant d’ailleurs et la rencontre d’un poète qui réussirait à dépeindre les sombres couleurs de sa relation presque œdipienne avec les bouteilles de San Giovese. Vous l’aurez compris cet épisode ne vous donnera pas les clés universelles pour capter le sens du vide que beaucoup d’entre nous peuvent ressentir lorsque leurs premiers regards du matin se déposent sur l’inconsistance d’une journée qui s’annonce. De cet épisode vous n’apprendrez rien de nouveau sur vous-même mais vous n’en ressortirez pas forcément perdant.

  
Un milieu se trouve entre la victoire et la dérision et c’est effectivement dans ce milieu que se trouve Henry Geache aujourd’hui avec une érection qui frôle l’impertinence pour son âge. Henry s’est levé et pour une fois il a laissé sa gueule de bois personnelle avec ses rêves, pas derrière lui, mais en lui. On en oublierait presque de prier tellement la situation touche à la surprise.

Ce matin Henry avait envie de parler de la page blanche. Non pas celle que ses biographes peuvent avoir lorsqu’il s’agit d’expliquer ses humeurs volatiles mais bien la vraie page blanche d’une vie qui ne laisse plus beaucoup de place à l’étonnement sans pour autant que la sérénité due à un sommeil de sable ne s’efface. Sa vie n’avait plus rien de surprenant ni de bandant et pourtant se serait mentir que de dire qu’Henry ne se sentait pas en forme. Il était seul depuis quelques mois et après avoir envoyé chier la terre entière et le reste du monde qui se cache derrière une certaine forme de morale, sa solitude faisait office d’un animal de compagnie éternel. Lui, lui-même et la voix clandestine de Léonard Cohen. Did you ever go clear?

Serait-ce seulement ça la page blanche, épurer les architectures mentales pour arborer sans gêne le fait que de notre vie on n’en fait rien et il n’y a aucune honte à le dire. Alors Henry prit une gomme et commença à effacer ses traces écrites que la tristesse d’une époque lui laissait faire. Il renvoya ses nouvelles et poésies qu’une salope lui avait inspirées, brûla ses réflexions guidées par son milieu social et jeta Bourdieu pour dire aux autres qu’il n’avait vraiment pas besoin de se comprendre lui-même, ce qui lui servait c’était de savoir qu’il existait une grotte dans laquelle certains mystères étaient rangés et le mieux qui restait à faire c’était bien de les laisser là, car les mystères ne sont pas toujours pour tout le monde. Il laissa tomber de sa fenêtre sa bibliothèque, L’explosion inévitable du volcan somnolent que Targa Kolikov lui avait offert dans une mémorable beuverie protégée par les silences du Connemara, son roman ne lui parlait plus, il en avait assez des parenthèses et des virgules.

Lorsqu’il ne resta plus que certaines factures que son portefeuille ne lui avait permis d’honorer, Henry s’imagina une tête vide de toute pensée, il redevenait quelqu’un de peu intéressant et tant mieux car au final des gens qui ne faisaient rien il y en avait si peu.

Henry débrancha. Débrancha sa vie des communications qu’on lui avait présentées comme un miracle, seule la ligne rouge entre lui et sa folie demeurait en état pour des raisons plus qu’évidentes. Sa page blanche c’était de se débrancher. Il regarda la dernière feuille encore non détruite et gribouilla quelque chose de ses larmes. Henry ne savait plus s’il était là ou s’il se trouvait derrière la porte et qu’il se regardait. 

Alors il se remit à boire car peut-être qu’au final, la raison qui l’avait poussé à tout ranger dans sa vie, c’était l’absence de sa gueule de bois. Cette absence lui avait codé certains de ses repères. Le temps de lire la dernière phrase et Henry avait déjà fini la première bouteille. Il redevint saoul et se remit à écrire des poèmes.


Everybody knows



Targa Kolikov

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