Les maladies ce sont les choses
que l’on montre à l’extérieur.
Rassurez-vous Henry n’est pas
malade, son médecin a récemment tablé sur une espérance de vie proche de 117
ans, comme si la précision scientifique déjouait les fausses marques du temps.
Il lui prédit également une troisième
femme pour bientôt, la disparition de son fils venant d’ailleurs et la
rencontre d’un poète qui réussirait à dépeindre les sombres couleurs de sa
relation presque œdipienne avec les bouteilles de San Giovese. Vous l’aurez compris cet épisode ne vous donnera pas
les clés universelles pour capter le sens du vide que beaucoup d’entre nous
peuvent ressentir lorsque leurs premiers regards du matin se déposent sur l’inconsistance
d’une journée qui s’annonce. De cet épisode vous n’apprendrez rien de nouveau
sur vous-même mais vous n’en ressortirez pas forcément perdant.
Un milieu se trouve entre la victoire et la
dérision et c’est effectivement dans ce milieu que se trouve Henry Geache
aujourd’hui avec une érection qui frôle l’impertinence pour son âge. Henry s’est
levé et pour une fois il a laissé sa gueule de bois personnelle avec ses rêves,
pas derrière lui, mais en lui. On en oublierait presque de prier tellement la
situation touche à la surprise.
Ce matin Henry avait envie de
parler de la page blanche. Non pas celle que ses biographes peuvent avoir
lorsqu’il s’agit d’expliquer ses humeurs volatiles mais bien la vraie page
blanche d’une vie qui ne laisse plus beaucoup de place à l’étonnement sans pour
autant que la sérénité due à un sommeil de sable ne s’efface. Sa vie n’avait
plus rien de surprenant ni de bandant et pourtant se serait mentir que de dire
qu’Henry ne se sentait pas en forme. Il était seul depuis quelques mois et
après avoir envoyé chier la terre entière et le reste du monde qui se cache
derrière une certaine forme de morale, sa solitude faisait office d’un animal
de compagnie éternel. Lui, lui-même et la voix clandestine de Léonard Cohen. Did you ever go clear?
Serait-ce seulement ça la page
blanche, épurer les architectures mentales pour arborer sans gêne le fait que
de notre vie on n’en fait rien et il n’y a aucune honte à le dire. Alors Henry
prit une gomme et commença à effacer ses traces écrites que la tristesse d’une
époque lui laissait faire. Il renvoya ses nouvelles et poésies qu’une salope
lui avait inspirées, brûla ses réflexions guidées par son milieu social et jeta
Bourdieu pour dire aux autres qu’il n’avait vraiment pas besoin de se
comprendre lui-même, ce qui lui servait c’était de savoir qu’il existait une
grotte dans laquelle certains mystères étaient rangés et le mieux qui restait à
faire c’était bien de les laisser là, car les mystères ne sont pas toujours
pour tout le monde. Il laissa tomber de sa fenêtre sa bibliothèque, L’explosion
inévitable du volcan somnolent que Targa Kolikov lui avait offert dans une
mémorable beuverie protégée par les silences du Connemara, son roman ne lui
parlait plus, il en avait assez des parenthèses et des virgules.
Lorsqu’il ne resta plus que
certaines factures que son portefeuille ne lui avait permis d’honorer, Henry s’imagina
une tête vide de toute pensée, il redevenait quelqu’un de peu intéressant et
tant mieux car au final des gens qui ne faisaient rien il y en avait si peu.
Henry débrancha. Débrancha sa vie
des communications qu’on lui avait présentées comme un miracle, seule la ligne
rouge entre lui et sa folie demeurait en état pour des raisons plus qu’évidentes.
Sa page blanche c’était de se débrancher. Il regarda la dernière feuille encore
non détruite et gribouilla quelque chose de ses larmes. Henry ne savait plus s’il
était là ou s’il se trouvait derrière la porte et qu’il se regardait.
Alors il se remit à boire car
peut-être qu’au final, la raison qui l’avait poussé à tout ranger dans sa vie,
c’était l’absence de sa gueule de bois. Cette absence lui avait codé certains
de ses repères. Le temps de lire la dernière phrase et Henry avait déjà fini la
première bouteille. Il redevint saoul et se remit à écrire des poèmes.
Everybody knows
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