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01/06/2011

ICEBERG ⅔/⅓- [par Arsène Hasar]




I
19h15.

A l’heure ambigüe du crépuscule un peu traître, les immeubles se détachent comme des immenses cartons d'emballages autour de la place du Dôme. Parfois, un vol de pigeons insalubres vient crever le pourpre du ciel, en diagonale. Ils ressemblent presque à des oiseaux exotiques lorsqu’on les voit de loin. On leur invente des taches blanches au niveau du col et l’on imagine qu’ils portent peut-être des smokings, eux les éternels dégoûtants. 

Et des fientes tombent sur la foule comme des gouttes de peinture claire.

La tête me tourne : j’ai soudain comme un trou de lumière aveuglante au milieu de chaque rétine et la voix de Saint-John résonne dans l’immensité de ma solitude :
 
« Le meilleur moyen de priver un Homme de son humanité, c’est de l’ériger en symbole ou en mythe ».


II
20h30.

La foule fourmille. Les bouches du métro vomissent des hommes en pantalons jaunes/roses/verts/bleus et des femmes de tous les âges. Il y en a de belles, fines comme des tiges avec de grosses poitrines et les yeux qui disent « j’ai envie de toi » à Je Ne Sais Qui (si vous connaissez JNSQ j’aimerais beaucoup le rencontrer pour lui casser la gueule). Il y a aussi de toutes jeunes filles en short et peaux de bébés. Nous ne parlerons pas des vieilles, ni des moches, ni des baleines vibrantes qui sortent des fontaines, car vous nous lisez peut-être de bon matin, yeux mi-clos et estomac fragile.

Et des hommes se dandinent sans émettre de son, sur la scène-centre de l’ Attention Générale.

Mon amie me prend doucement la main et malgré la beauté émouvante de ses clavicules, je repense à la dernière maîtresse de Saint-John, qui fût aussi sa dactylo, en 1968. Pour ne pas la laisser complètement seule, il lui aurait offert cette phrase, avant de la quitter : 

« Les guerres, les massacres, les changements de régimes sont l’écume de l’Histoire. Mais nous sommes des surfeurs et ne cherchons que la vague ».



III
21.30.

Les drapeaux rouges/ oranges ondulent comme s’il y avait du vent mais en fait ce sont les hommes, les belles femmes, les enfants et les baleines qui les agitent mollement, du bout de leurs bras. D’ailleurs, il n’y ni vent ni tempête ce soir : juste un mélange de brises tièdes en provenance de la Mer de Ligurie au Sud et de l’Adriatique à l’Est.

Et les lampadaires s’allument tous d’un coup, symphonie de lumière ignorée par la foule qui fixe la scène sur laquelle toujours rien ne se passe.

Je reçois alors un message sur mon téléphone, qui vient peut-être de Saint-John(il a l’habitude de m’écrire depuis le passé). Les yeux me brûlent encore et m’empêchent de lire correctement. Mon amie m’embrasse sur le nez, et je lui demande de me lire le message de Saint-John : 

« Les spectacles débordent toujours du cadre qui leur est attribué. Au stade, le match a lieu jusque dans les gradins. Au théâtre, la scène se répand dans la salle. En politique, nous sommes tous des acteurs ».


IV
22h15.

Parfois des cris s’élèvent pour susciter ce grand vacarme que par ignorance on pense être la musique authentique des Grandes Révolutions et des coups d'état. Mais ce que j'entends n’est que la somme d’un million de murmures réunis et les hommes ne parviennent pas à devenir foule. Dépourvus de violence, ils chantent la pâle nostalgie de l'hémoglobine, des Grandes Révolutions et des coups d'états révolus.

Et partout autour sur la place dans les fontaines, de l’eau coule dans de l’eau qui coule dans de l’eau qui coule dans de l’eau qui coule dans de l’eau.

Je repense à ce que disait Saint-John dans l’un de ces derniers écrits : 

"La véritable Histoire est parfaitement indolore".

Depuis le balcon où je sirote mon cent-vingt-deuxième Martini, je crache le noyau de ma cent-vingt-deuxième olive dans l'air presque noir de la nuit qui rampe, et j’aperçois alors Targa Kolikov et Peter P qui tournent le dos à la scène. Ils n’ont pas l’air en forme. Ils ont tellement grossi, tous les deux. Ils n’applaudissent pas. Tant pis pour eux. Ils n’avaient qu’à venir avec moi, sur le balcon, pour profiter de la vue dont on dispose depuis la loge du Président sortant.




A r s è n e  H a s a r

I T A L I A 
[capitale]

« Je vous écris à l’heure où je vous parle »




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