Rechercher

16/05/2011

Henry Geache - Le sens [Ep.7] / Targa Kolikov



Il jeta un dernier laconique coup d’Å“il à l'odeur que le sol de Pointe-à-Pitre offrait aux hommes en mal de vivre et reprit cap vers l'Europe, là où les traditions les plus anciennes d'une civilisation en déclin sont un moteur de stabilité et de confiance.

Ça fait toujours bizarre de rentrer chez soi, comme si les problèmes qu'on avait laissés en partant nous attendent au centimètre près, à l'arrivée, pour nous rappeler qu'en voyageant on n'échappe qu'à une partie de soi-même.
Et sur ce point-ci Henry en avait des problèmes, ou du moins des choses qui ne rendaient pas toujours confortable l'analyse dont il se faisait de la vie. De la Guadeloupe, Henry y rapporta de la gêne. Les rêves de chiens lui pissant sur la gueule, au rendez-vous chaque nuit, l'éloignaient de lui-même. Il ne savait si cela relevait d'un fantasme, d'une image ou encore plus fort, d'un simple rêve sans explication à donner. Le voilà son vrai problème et rien que le fait d'y avoir pu mettre une phrase afin de le transformer en image de lettres, lui qui demeurait invisible, fit d'Henry un délinquant, comprenez dans ces termes un irresponsable, et encore plus précis un type qui ne respectait pas la propriété des autres.

Lorsqu'a été ébruitée l'idée selon laquelle Henry Geache nous reviendrait en grande forme, aussi fort que ces orages qui nous traversent, que de ses vacances il en avait repeint son masque, et bien tout cela, et comme le reste, tout cela était faux. Il reste cet homme victime de sa confiance de l'attente des belles choses et le fait de toucher le corps des femmes noires n'a rien changé. Il remplit son sac de son San Giovese préféré et partit vers la place festive de la ville, bien décidé à se laisser aller aux vices de l'alcool et aux fausses interprétations qu'il crée, de se mettre la plus grande murge de tous les temps et de rencontrer peut-être une femme ou un homme capable de lui livrer son corps et ses oreilles.

Il était 20h et les cÅ“urs de la ville bougeaient sous l'ambiance de sexe et de fausse sympathie qu'ont toujours ces samedis de début d'été, ils sont toujours gentils jusqu'à ce qu'il y en ait un qui laisse parler la drogue et fout une mandale dans la gueule de l'autre pour réaffirmer Deleuze, donc pour réaffirmer son territoire, et pour montrer aux autres qu'il a été chef pendant quelques minutes mais au fond , comme tout le monde, il se sent très malheureux. Henry déposa son cul sur le rebord d'un banc, véritable chiotte à pigeons, et ouvrit son premier pinard avec un ustensile qui lui avait gentiment été offert par une pute de Caracas dans sa vie d'avant, celle où il vivait comme un roi et avec idées mêmes si aux yeux des spectateurs il n'était qu'un pervers alcoolique amoral. Il but d'un trait et une colonne de pensées négatives s'échappait de sa tête, on aurait dit qu'Henry comprenait qu'il ne servait à rien de comprendre, que mis à part le vin et les femmes, les sens que l'on donnait aux choses pour se rassurer des limites n'existait pas. Il pensa à son fils, à son ex-femme et en dernier lieu à lui. Le San Giovese modifiait les couleurs de la situation et remit aux goûts du jour certains souvenirs d'Henry Geache alors en pleine période de construction. Henry avait une peur bleue des souris et c'est précisément dans une cave, enfermé par son beau-père, homme lui aussi tout aussi vide de sens, pour payer le tribut de la société le plus grave, Henry payait le fait d'être en vie, d'exister, sans ayant jamais donné une direction positive aux personnes avec lesquelles il vivait. Il resta dedans, à moitié enterré mangeant des souris et parlant à sa main gauche pendant une dizaine de mois.

Une fois libre le monde en dehors avait bien changé, rien n'était plus comparable. Les arbres étaient verts et puissants mais c'était un autre vert et une autre puissance. Les routes, jaunes et perfides, mais c'était un autre jaune, une autre perfidie. Le monde demeurait fou et triste à en chier de la matière grise mais c'était une autre folie, une autre merde. Tout avait changé mais tout restait comme avant, il y avait simplement eu une absence d'Henry et la terre avait continué de suivre son axe orbitale. Comme si de rien n'était, comme si un monde sans Henry n'apportait pas moins de salives aux moustaches.

Pour l'une de ses premières fois il se mit à chialer comme un môme, des océans de sels creusant ses joues fatiguées par le tabac, et il remplit ses larmes de bonne foi, de positivisme et de confiance envers les autres, car il ne restait plus grand chose maintenant à donner. Henry pourrait chier là, sur la place, tuer des oiseaux, ou bien encore postuler pour voler des bouteilles de champagne à Shanghai, le monde lui continuerait de changer tout en restant le même, le temps passe et les œufs durent.

Henry pleura mais cette fois-ci c'est en lui qu'il pleurait, s'insultait de l’égoïsme des circonstances et convaincu encore, que s'il n'était pas tombé amoureux de ce vin, la face de la terre en aurait bien différente.

Il rentra chez lui et s’arrêtant au pied de son pavillon, abaissa son pantalon et pissa sur la gueule du chien de sa voisine, sans remord, en se disant que de toute manière, même sans lui, les animaux continueront à se faire pisser dessus.

Partager cet Article:

Facebook Twitter Technorati digg Stumble Delicious MySpace Yahoo Google Reddit Mixx LinkedIN FriendFeed Newsvine Flux RSS

Blogger

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire