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14/04/2011

Mick Jagger, le Dalaï-lama et moi / Arsène Hasar






"Bi pa pa pa da po, pa pa pa da po"
John Scatman
 I

J’ai marché longtemps, tout enduit de peinture fraîche, et il faisait 60 degrés à l’ombre. Il y avait  des pyramides de sel toutes blanches, toutes sèches. Du sel et du sable, partout. Pendant des heures, j’ai lancé un pied devant l’autre, consommant de plus en plus de courage. La solitude me pesait, et je rêvais de savoir de quelle couleur j’étais enduit. Mais il n’y avait personne pour me l’apprendre. Pas une âme qui vive, pas même une mouche.
A un moment néanmoins, j’ai rencontré Mick Jagger et le Dalaï-lama, assis sur un tas de sel, qui discutaient passionnément. J’ai ris si fort que le Dalaï-lama est devenu tout rouge de honte. Il est beaucoup plus superficiel qu’on le croit : j’ai entendu la fin d’une blague salace à propos d’un Belge, d’un Noir et d’un Chinois qui vont à la plage. « Dégage, connard » m’a dit le Dalaï-lama, très poliment, en faisant un signe de paix. Il est aussi terriblement lunatique.
Moi qui voulais savoir de quelle couleur j’étais peint, ça tombait mal. Ça m’a beaucoup énervé, alors j’ai regardé le Dalaï-lama droit dans les yeux, et j’ai hurlé : « Ce n’est pas parce que tu es moche et chauve que tu es un sage ! » et ce dernier a fondu en larmes.
Avant de passer mon chemin, j’ai pu voir Mick Jagger qui lui donnait de petits baisers sur le crâne, comme ceux que les fillettes donnent aux tout petits chats, sur le museau, pour les réconforter. Il lui disait : « tu es beau, ne t’en fais pas, tu es si beau », puis il m’a fait un signe d’adieu.



II

J’ai continué de marcher entre les tas de sel, et il devait faire environ 65 degrés, car ma peinture commençait à bouillir et à me brûler. Du sel et du sable, tout ça me donnait soif. Je n’avais pas assez de courage pour lancer un pied devant l’autre, alors je me suis mis à traîner des pieds, pour imprégner le « j’en ai marre » derrière moi, comme une trace dans le sable. Je me fis tout un tas de confidences, car à force de solitude je devenais un peu fou. Le plus surprenant, c’est que je me faisais exclusivement de fausses confidences. Je vous assure : des mensonges énormes sur ma sœur, mon métier et mon peuple, moi qui n'ai pourtant ni soeur, ni métier, ni peuple. Je faisais ça pour m’attendrir. Car il fallait bien continuer à marcher, dans ce désert qui était sec comme une vieille biscotte, sans âme qui vive, même pas une libellule.
A un moment néanmoins, j’ai vu ta mère devant le Prisunic, qui ne portait qu’une minuscule culotte bleue. D’ailleurs elle est jolie, ta mère. J’ai essayé d’aller lui parler, comme ça, pour rompre l’ennui. Mais elle a eu l’air effrayé, et elle m’a traité de menteur avant que je ne lui mente, je ne sais pas pourquoi. Puis elle est partie se réfugier à l’intérieur du Prisunic.
"Menteur !" Ai-je entendu une nouvelle fois.
Moi qui souhaitais tant savoir de quelle couleur on m’avait enduit. Tant pis, je me suis remis en route.

III
Les tas de sel ne faisaient même pas d’ombre. La peinture commençait à s’évaporer, parce que la température avait atteint 70 degrés. Ça s’est mis à me brûler si fort que je me suis jeté dans l’un des tas de sel. C’était dégueulasse, j’en avais dans le nez, dans la bouche, dans les oreilles, et partout sur ma peau le sel s’est accroché et mélangé à la peinture. Ça s’est mis à me brûler si fort…j’en avais vraiment ras le bol. Ce dont j’avais besoin  maintenant, ce n’était plus de courage.  C’était de l’héroïsme qu’il me fallait. Alors j’ai essayé de pleurer, mais mes larmes se sont transformées en vapeur, à peine sorties de mes yeux. Ça c’était plutôt drôle, alors j’ai repris un peu de courage. J’ai même décidé de continuer en marchant sur les mains, parce que c’était plus élégant.
A ce moment- là un cirque est passé un peu plus loin, un cirque italien. Le chef de ce cirque, c’était un garçon assez jeune, qui portait une tête de koala et un costume impeccable, comme tous les italiens vous me direz. Allant vers le plus urgent, je lui demandais immédiatement :
« Est-ce que tu te sens plus Italien, ou plus Koala ? »
Pour toute réponse, il a murmuré : « Koalitalien, mon garçon », puis il a allumé un cigare de la Havane qui me sembla trop grand pour lui.
Il a proposé assez gentiment de monter dans la caravane du cirque, pour aller jusqu’à l’Eau, avec les clowns et les trapézistes, puis il a ajouté très sérieusement :
« Il te faudra un numéro, néanmoins. Qu’est-ce que tu sais faire d’unique ? »
Je n’ai pas hésité une seconde :
« J’excelle dans le domaine des fausses confidences »
Le Koalitalien eut l’air particulièrement impressionné.

On a fini par arriver au bord d'un lac. J'ai plongé aussi vite que possible, et ça m'a soulagé de tout : la chaleur, le sel, le sable, la peinture. Autour de moi, j'ai vu la couleur que je portais depuis le début sur la peau,dissolue autour de moi, redevenue liquide, et j'ai pu en examiner les moindres reflets. Je suis au regret de vous dire que cette couleur, elle n'existe pas chez vous. Le Koalitalien, qui est devenu mon ami le plus cher, m'a dit que cette couleur s'appelle : Rise. Vos yeux ne sont pas faits pour. Excusez-moi.




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Maison de Santé Saint-John Perse
« Je crois qu’on devrait s’arrêter là »
Arsène Hasar






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